Ces derniers jours, un souvenir d’enfance me revient de plein fouet.
J’ai 6 ans. C’est la fin de l’été et je vais être grand frère pour la première fois. Mes parents m’ont laissé quelques jours, le temps de la maternité, chez ma mémé. Ma mémé, c’est une petite bonne femme. Un peu pliée, parfois bougonne, renfrognée, surmaquillée et séductrice. Son mari, mon pépé, taiseux et de guerre lasse, des souvenirs comme des fardeaux.
Me voilà seul avec eux, dans leur maison en contrebas, adossée à une grande église froide, presque hautaine. Je crois, pour de vrai, que je me sentais assez effrayé d’être laissé là. Je me souviens du premier jour et de l’ennui. D’un gros catalogue de vente par correspondance et de ses pages de jouets : tout un monde de rêve.
Mémé me tourne un peu autour, cherchant probablement ce qu’elle peut faire de moi.
« Dis-moi ce qui te ferait plaisir, je te l’offre. »
Voilà probablement ce que j’ai entendu. Je passe des heures à hésiter. Et mon choix, royal, qui s’impose : un grand théâtre de marionnettes avec son lot de guignols. On remplit le bon de commande.
Et on attend. Un jour, puis deux, puis trois. Je guette chaque matin la camionnette jaune qui n’arrive pas. Cœur battant en haut du bourg. Mémé s’étonne, comme moi, et dit ne pas comprendre. Je me souviens de l’acidité de ma tristesse : une promesse de joie qui ne vient pas.
Je rentre chez mes parents. La vie continue et j’en oublierais presque le théâtre de guignol. Mais à chaque visite chez Mémé, je lui demande des nouvelles de la commande et je n’ai, en retour, qu’un silence. Un dimanche, bien plus tard, cherchant le sucre dans la cuisine, j’ouvre un tiroir : le bon de commande, bien plié, repose sous une pile d’autres papiers.
Je sais depuis ce jour que promettre sans tenir sa promesse, c’est se compromettre et blesser l’autre sévèrement. Ça s’est inscrit en moi voilà quarante ans. Mais je découvre ces jours-ci que tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir une Mémé. Alors j’en fais les frais, autrement, une nouvelle fois.

Cet article fait partie du numéro 194 (→ Acheter)
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