Le bus de retour de classe verte se fait attendre. À son visage, immédiatement, lui encore dans l’encadrement de la porte du car, on voit, sa maman et moi, que ça ne va pas, vraiment pas. Martin, notre fils, a six ans : c’était il y a longtemps.

Il vient se nicher contre nous. Reste muet. On insiste. Rien. On lui prend la main, il hurle, garde le poing serré. Ça fait mal, très mal : son doigt tout gonflé, bleui et l’ongle noir. Dans l’effervescence de l’arrivée, les bagages, les parents agités, on finit par attraper une enseignante, l’interroger. Et elle de nous dire, un peu embêtée, que oui, Martin, s’est coincé le doigt dans une porte mais qu’ensuite il ne s’est pas plaint, que son séjour s’est assez bien passé, qu’il semblait un peu triste, un peu ailleurs.

Le soir-même, une amie pédiatre perce l’ongle avec une aiguille chaude, nous le maintenons à trois – douleurs, cris, pleurs, colère : carnage. Dès le lendemain, rendez-vous avec la directrice de l’école, les enseignants : esclandre.
Dix ans plus tard, je m’interroge. Martin, à cette époque, n’a pas voulu déranger, s’est soumis à l’autorité. À aucun moment nous ne sommes venus questionner cela. Il ne s’est pas défendu et nous ne lui avons rien reproché : nous avons fait de lui une pauvre victime et d’eux de terrifiants bourreaux. Aujourd’hui, je sais que les enfants ont besoin d’autre chose. De savoir qu’ils ont le droit de dire fort quand ils sont menacés, agressés, même face à des figures d’autorité. D’apprendre à se défendre, à garder la tête haute, car fuir ou courber l’échine ne les sauvera pas. Avec le temps, j’ai découvert et appris cela, moi qui pendant tellement longtemps ai confondu gentillesse et soumission.

 


Cet article fait partie du numéro 196 (→ Acheter)
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