Ce matin, la chambre d’Emma, ma fille de dix huit ans, est vide. Sur le plan de travail de la cuisine, un petit bracelet coloré qu’elle a confectionné.
Elle est partie hier soir, après une sacrée prise de bec. Elle doit être, comme moi, bien en peine ce matin. Pour comprendre, remontons le temps.

En septembre, pour elle, une fac de sport. Mais rapidement, tout le charabia théorique lui pèse. Elle veut travailler de ses mains. Alors l’Afrique l’accueille pour un chantier partagé. 2018 se termine. Elle a vécu du lourd, du beau, elle s’est dépassée, en sort transformée. Depuis, c’est ici que ça se passe. Et là, plus rien. Je la sens perdue. Elle n’entreprend rien. S’enfonce. Passe ses journées dans le canapé. Nous, ça bouillonne au dedans. On tente de lui parler, souvent. Un mur. Elle nous remet à nos places : on n’a pas à lui dire ce qu’elle doit faire. Ne s’engage dans rien, ni dans la maison ni en dehors. Alors hier midi, je lui pose des jalons, sévères. L’oblige à s’inscrire pour un futur « wwoofing », une bergerie, une ferme, que sais-je ! Agir pour gagner en estime de soi. Ne pas se donner le choix.

Mais au soir, pour ma chérie qui revient du boulot, tout est encore à vif. Et là, ça explose. Elles crient, pleurent toutes les deux. Finissent par se prendre dans les bras. Mais des mots durs ont été prononcés, le sac vidé. Et Emma a filé.

Ce matin, je suis un peu chamboulé. Pour Emma, je sais que l’océan est grand et froid et qu’il faut du courage pour garder la tête hors de l’eau.

Cette fois, encourager, protéger, rassurer, faire confiance n’ont pas suffi. Devant l’étendue, nous parents sommes contraints d’abattre les murs pour mieux reconstruire et créer des passerelles. A l’instant, Emma m’adresse un message, me demande si ça tient toujours, la visite du lycée horticole. Allez, on continue.

 


Cet article fait partie du numéro 192 (→ Acheter)
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