Avril 73, j’ai 9 ans et demi. En vacances à Menton. Les vacances, c’est sacré. Ce sont elles qui nous font supporter l’absence de nos parents qui travaillent tous les deux. Durant l’année, Maman part dès notre retour de l’école pour aller faire ses soins et Papa visite ses clients en fin de journée, quand chacun rentre chez soi.
Ma petite sœur vient de demander à notre mère “quand est-ce qu’elle fera son vrai métier de maman ?”.
Je suis d’accord avec elle, mais je ne dis rien, parce que je sens bien que cela blesserait Maman. Elle nous explique que nous avons de la chance parce leur travail nous permet de partir en vacances, ce que ne peuvent pas faire nos voisins. Si cet argument la décomplexe, je ne suis pas sûre qu’il convainque Hélène. Quant à moi, la “grande”, il faut bien que je m’en accommode ! Je réussirai même, quelques années plus tard, à être profondément contrariée quand l’un des deux sera là dès mon retour du collège. On s’habitue à tout, même à l’absence.
La veille, marché de Vintimille, en Italie. Une jupe portefeuille sur l’étalage. LA jupe portefeuille qui me permettra d’effacer la honte de ne plus pouvoir fermer mon pantalon parce que l’infection urinaire a encore déformé mon ventre. Merci à l’inventeur de cette géniale invention ajustable ! Maman accepte de l’acheter, chouette ! Un habit neuf à porter, je me dépêche de l’enfiler dès le lendemain matin.
– Va te changer immédiatement !
– Mais, Maman, je voudrais la mettre aujourd’hui !
– Pas question, tu attendras dimanche.
– Ben je me demande bien pourquoi on achète des vêtements si c’est pour les laisser dans un placard !
Et vlan ! Je ne l’ai pas vue venir, mais je la sens encore, cette gifle injuste. Pourquoi est-elle partie ? Qu’ai-je fait pour la recevoir ? Est-ce vraiment une chance de partir en vacances avec des parents tellement fatigués qu’ils ne supportent plus la contrariété ?
Qui dit “vacances” dit “photo de vacances” : on immortalise l’instant. Le cliché rejoindra les autres sur le buffet de Mamie qui s’extasie de voir grandir ses petits enfants, pendant qu’elle vieillit tout doucement. Est-ce que la légende indiquait, en plus du lieu, de la date et de l’âge de ses petits (qu’elle a nombreux), que l’aînée porte la jupe de l’injustice ?
Qui l’a vu ? Qui le sait ? Qui l’a compris ? En tout cas, aujourd’hui, il m’arrive de décrocher l’étiquette à peine un vêtement acheté, de l’enfiler illico presto en précisant à la vendeuse : “Pas besoin de paquet, c’est pour consommation immédiate”.

Sophie Helmlinger


Cet article fait partie du numéro 179 (→ Acheter)
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