Enfant, tu dansais. Joie, élan, confondante facilité. À l’entrée au collège, regards sournois, inquisiteurs, te font rentrer dans le rang. Finis l’envol, la grâce, finis les pas de côté : tu baisses la tête, te carapate, te carapace. Les années passent. En toi, ce désir reste vif. Au printemps dernier, sur scène, tu vois des hommes en volute, pas chassés, pas croisés : bouleversé. Tu acceptes l’audition au conservatoire, et te voilà retenu, pour l’entrée au lycée. Ravi mais bousculé, tu enchaînes les cours et les chorégraphies, et redécouvres ce plaisir avec et malgré ton corps de grand échalas. Mais te voilà l’âme en crue en ce début d’année. Une série de questions t’inonde la tête : est-ce vraiment pour moi ? Ai-je envie de poursuivre, de progresser, de me donner du mal ? De me montrer, de me faire voir ? De quels rêves avortés suis-je le porteur ? Est-ce mon rêve ou celui de mon père ? Pour qui je danse ? Qu’ai-je à perdre, qu’ai-je à gagner ? Alors oui, j’ai envie de te dire. Te dire que ça y est, tu y es. Au cœur de la vie, de ta vie, une vie de roi : roi héritier et roi de pacotille, roi confetti ou roi rutilant, mais toujours roi en ton royaume, roi avec des couronnes, et de fleurs et d’épines. Affublé de tes splendeurs et de tes misères, de tes élans et de tes petitesses, de tes peurs surtout – qui t’empêchent. Que c’est compliqué et douloureux. D’avoir envie et peur en même temps. Qu’on se donne toujours de bonnes raisons de ne pas faire, de ne pas lutter. Qu’efforts et dépassement, ce n’est pas tout de suite la joie. Mais voilà. Tu y es. Tout va dépendre de toi. Cher toi, cher roi.

 

 

 


Cet article fait partie du numéro 188 (→ Acheter)
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