Depuis l’arrivée des pères en salle d’accouchement dans les années 1970, leur place y est rarement remise en question. Les quelques papas qui n’y assistent pas surprennent et sont perçus comme des mauvais pères. Et si l’on laissait le choix aux hommes de trouver leur juste place à la naissance de leur enfant ?
Paul ne s’est pas senti à l’aise à la naissance de son fils : “J’ai eu très peur, je ne reconnaissais pas ma femme dans cet état de douleur, je ne pouvais plus communiquer avec elle, j’ai demandé au personnel médical d’intervenir.” Même sentiment chez John. La naissance de son deuxième enfant a été si rapide qu’il s’est trouvé face à sa femme, Nathalie, en train d’accoucher. Alors qu’elle a vécu cet accouchement comme “un moment merveilleux”, l’expérience fut traumatisante pour John. Démuni et impuissant, il a ressenti de la peur et de l’angoisse. “J’étais trop près, je ne souhaitais pas voir le sexe de ma femme dans cette position. Certaines images me sont restées assez longtemps”. À la naissance de leur troisième enfant, John s’est autorisé à ne pas être présent. Il était dans une autre pièce et est arrivé dès la naissance du bébé. Sa femme s’est sentie en accord avec cette décision prise en couple et elle a été accompagnée par une sage-femme qui a pu entendre leur demande.
Présence du père à la naissance : nécessité ou obstacle ?
Face à cette question rarement posée, les réactions sont passionnées et variées. Une femme qui accouche a besoin de soutien et de protection. Certaines femmes s’étonnent donc de cette remise en question et témoignent d’une très grande complicité et d’une force unique de leur couple au moment de la naissance. C’est le cas de Viviane qui affirme : “Je n’aurais pas pu accoucher sans mon conjoint. C’était ma force, mon soutien, comme une bouée de sauvetage au milieu de la tempête, il m’a beaucoup aidée”. D’autres femmes, comme Nathalie, trouvent leur soutien ailleurs ou sont gênées par la présence de leur conjoint. Liliana Hammers, doula en activité à Londres depuis plus de 15 ans, relate une multitude de situations où les parturientes préfèrent que le père s’éloigne : “Je me souviens d’Alice. Il était 4 h du matin. Elle était en plein travail et a demandé à son conjoint d’aller lui préparer du thé.” Interloqué, ce dernier s’est tourné vers Liliana Hammers : “Elle veut du thé à cette heure ?… Non, je crois qu’elle veut plutôt que je sorte.” La doula a acquiescé et le bébé est arrivé peu après que le papa ait quitté la pièce. Certaines femmes, assure Liliana Hammers, se cachent dans la salle de bain pour mettre leur bébé au monde sans le regard du papa. Michel Odent, obstétricien, défend cette théorie depuis plus de quinze ans. Selon lui, la place du père n’est pas aux côtés de sa femme pendant l’accouchement. Le stress et l’anxiété potentiellement ressentis par le papa pourraient bloquer la sécrétion de l’ocytocine, l’hormone nécessaire à l’accouchement.
Le papa a-t-il le choix ?
Vingt-deux papas ont été interrogés par Kathelyne Meyer, étudiante sage-femme à la Maternité régionale universitaire de Nancy. Pour 8 d’entre eux, le choix d’assister à l’accouchement était influencé par une pression extérieure. Dans une étude allemande intiettulée “Elle était là, passivement étendue comme Jésus sur la croix”, les 30 papas interrogés ont exprimé leur souhait d’assister à la naissance de leur enfant, mais 13 % d’entre eux avaient l’impression qu’il leur était impossible de refuser. Les résultats de cette étude indiquent que les papas ont vécu des sentiments positifs – joie, soulagement -, mais également négatifs – peur, anxiété, choc, impuissance, dégout. Amy Gilliland, formatrice en éducation sexuelle aux Etats-Unis, s’interroge sur les conséquences pour les pères de voir le corps de leur partenaire exposé à des inconnus dans un contexte médical hospitalier. Cette dépersonnalisation peut-elle avoir des effets sur le désir sexuel ? Si le papa est présent, il est préférable qu’il reste derrière sa femme ou sur le côté pour ne pas voir le sexe de la femme dilaté. Enfin, la spécialiste ajoute également que les hommes réclament souvent des “solutions” et des “réponses” médicales pour leurs femmes, afin de soulager leur propre stress. “Je n’attendais qu’une chose, c’est que la péridurale fasse effet” raconte Tristan. Il arrive en effet que le père demande la péridurale alors que la mère ne la souhaite pas. Amy Gilliland constate également que la présence des pères répond à une pression culturelle, mais que ceux-ci n’y sont pas toujours préparés émotionnellement. D’après la spécialiste, “les hommes et les femmes ne réagissent pas de la même façon aux situations de stress. Aux Etats-Unis, les pères ne bénéficient pas de préparation ni du soutien dont ils peuvent avoir besoin pendant l’accouchement et ne s’autorisent pas toujours à écouter leurs émotions.” En France aussi, les séances de préparation à l’accouchement spécialement destinées aux papas sont encore trop rares. Elles leur donneraient pourtant les moyens de comprendre le processus de l’accouchement et d’anticiper un tant soit peu leurs émotions. Ainsi les papas seraient libres de choisir et d’adopter le rôle qui leur convient le mieux en confiance, sans avoir pour autant l’impression de renoncer à leur rôle d’accompagnement et de soutien de leur femme dans ce moment si particulier.
Kathelyne Meyer “Les hommes racontent leur passage en salle d’accouchement : entretien avec 22 primipares”
Von Sydow K. Happ N. “There she was – lying like Jesus on the cross… – Fathers experiences of childbirth”, Zeitschrift fur Psychosomatische Medizim und Psychotherapie, 2012.
Michel Odent, Le bébé est un mammifère, Éditions l’Instant Présent, 2011
Liliana Hammers : www.doulaauthentic.com (en anglais)
Amy Gilliland : www.amygilliland.com (en anglais)
Cet article fait partie du numéro 179 (→ Acheter)
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