Devenir parent, c’est toujours être renvoyé à sa propre venue au monde et à la question de la transmission. Lorsqu’on a été soi-même abandonné puis adopté, les questions sont les mêmes, mais restent parfois sans réponse. Comment, dès lors, endosser sa posture de parent ? Témoignage.
Je suis née au Guatemala. A l’âge d’un mois et demi, j’ai été adoptée par un jeune couple de Français. J’ai grandi dans une famille aimante qui ne m’a pas caché mon passé. Mes parents adoptifs répondaient autant qu’ils le pouvaient à mes questions et ont ouvert avec moi mon dossier d’adoption lorsque j’avais 8 ans.
Mais ce n’est qu’à l’âge de 23 ans, alors que j’étais déjà mariée, que j’ai entamé, avec succès, une recherche de ma famille maternelle de naissance. Retrouver ainsi un morceau de moi-même a été perturbant : soudain, j’ajoutais des pièces au puzzle du début de ma vie. Grâce au soutien de mes parents et de mon mari, j’ai réussi à prendre du recul. C’est aussi à ce moment-là que j’ai croisé l’association La voix des adoptés, qui venait de se créer. Rapidement, c’est devenu une deuxième famille : je me sentais comprise comme personne ne m’avait comprise auparavant.
S’en est suivi un souhait de rencontre avec ma mère de naissance. Accompagnée par mon mari et mes parents, je suis partie à la rencontre de mes origines. Ce fut une rencontre bouleversante, remplie de larmes de joie et peut-être de tristesse.
Un passé ravivé
Je pensais avoir bouclé la boucle. Jusqu’à ce que nous commencions à avoir le projet d’un enfant. Mon mari se sentait prêt. Pour moi, c’était bien moins limpide. J’avais envie de maternité mais tout en posant des questions angoissées à mon mari : “Es-tu certain que nous avons les moyens financiers et matériels d’accueillir cet enfant ?” En somme, je craignais me retrouver dans la même situation que ma mère biologique à ma naissance. En discutant de cela avec mes amis de l’association, j’ai compris que le passage à la parentalité pouvait être sensible pour beaucoup d’adoptés. Chez certains, les questions se déclenchent non pas avant la grossesse, mais lors de la naissance de leur premier enfant. Il arrive qu’ils se lancent alors dans une recherche d’origine familiale ou culturelle. De mère(s) en fille ? Lorsque j’ai appris que j’attendais un bébé, j’ai rapidement décidé de lui raconter son histoire en “parlant à mon ventre” et en l’écrivant à son intention dans un petit carnet.
Malgré les questions formelles de la part des médecins – “Quelles sont vos antécédents familiaux ?” – je me sentais bien. J’ai associé de très près mes parents à cette étape de ma vie. Le seul point qui m’a pesé, c’était de ne pas pouvoir échanger comme mère et fille sur cette étape. J’étais très proche de ma mère adoptive, mais elle n’avait pas été enceinte et ne pouvait me donner de conseils pratiques ou témoigner de sa propre expérience. J’avais rencontré ma mère de naissance à nouveau, au début de ma grossesse. J’ai parfois éprouvé le besoin de discuter avec elle. L’entendre à l’autre bout du fil, tout simplement, me rassurait. Enfin, notre fille est née.
Lorsque je me suis retrouvée face à cette petite fille, ce fut comme un miroir de moi-même. Elle avait mes traits et je la sentais si fragile ! Je me suis vue à sa place vingt-sept ans auparavant. L’espace d’un instant, j’en ai voulu à ma mère de naissance. Je me suis dit : “Comment a-telle pu partir sans se retourner, me laisser sans savoir ce que j’allais devenir ?”. Puis je me suis mise à sa place, dans un contexte radicalement différent : un père absent, un enfant en bas âge, un pays en guerre civile, pas de travail… J’ai ressenti toute la douleur qu’elle a dû avoir. Au moment de devenir maman, nos vies respectives n’avaient rien de semblable. J’ai alors compris qu’elle disait vrai lorsqu’elle m’assurait : “Je ne t’ai pas oubliée”.
Avant la naissance de ma fille, comme une partie des adoptés, je pensais que ma mère avait pu m’oublier. Je sais maintenant qu’on ne peut pas oublier un enfant que l’on a mis au monde, qu’on l’ait attendu fortement ou pas.
Une filiation à expliquer
Ma fille grandissait et de plus en plus souvent, les gens disaient “Comme elle ressemble à sa maman !”. C’était nouveau pour moi, qui ai vécu sans ressemblance physique avec ma famille. La venue de ma seconde fille n’a pas été imprégnée de toutes ces questions sur mes origines. Toutefois, on est adopté toute sa vie et même adulte, on est rattrapé par certaines questions. Ma fille aînée m’y renvoie : des camarades lui demandent pourquoi elle a les yeux en amande et les cheveux presque noirs. Récemment, elle a commencé à poser des questions plus précises : “Si tu n’étais pas dans le ventre de Mamy, tu étais où ? C’est quoi un orphelinat ? Pourquoi Papy et Mamy n’ont pas pu avoir d’enfants ?” Grâce au travail que j’ai fait sur mes origines, j’en discute sereinement avec elle. Elle est venue avec moi à l’âge de 3 ans à la rencontre ma famille biologique. Elle en a encore des souvenirs. Avec mon mari, nous aimerions un jour les emmener toutes les deux visiter le Guatémala et rencontrer ma famille. Ce serait une façon de pouvoir leur transmettre mon histoire, de la façon la plus positive si possible. J’aurais peut-être enfin bouclé la boucle.
La voix des adoptés
Association nationale avec plusieurs antennes régionales, La voix des adoptés a été créée en 2005 afin de proposer des temps et des lieux d’échanges pour des personnes adoptées, de témoigner auprès des futurs parents adoptants et de susciter une réflexion avec des professionnels sur la problématique de l’adoption. L’association accompagne celles et ceux qui souhaitent effectuer des recherches sur leurs origines et elle sensibilise à la désinformation au sujet de l’adoption. Tous les renseignements sur le site de l’association.
Cet article fait partie du numéro 179 (→ Acheter)
abonnez-vous au magazine imprimé !