Perdre un bébé pendant la grossesse ou autour de la naissance est un véritable cataclysme pour les parents. Difficile pour eux d’imaginer pouvoir un jour se relever et reprendre le fil de la vie. Malgré le traumatisme et la peur d’une récidive, dans la majorité des cas, le désir d’enfant demeure. Témoignages commentés par le psychiatre Christophe Fauré.
Suite à une mort périnatale, faut-il respecter un délai avant une nouvelle grossesse ?
« J’avais besoin de redonner la vie et de chasser cette impression d’avoir donné la mort. » Lucy, dont le premier enfant est décédé au sixième mois de grossesse.
Certains parents se posent la question d’une nouvelle grossesse alors que le deuil de l’enfant décédé est à peine amorcé. Bien souvent, il s’agit d’un réflexe de survie – il faut envisager la suite pour se donner une raison de vivre, ne pas se laisser abattre par une expérience souvent vécue comme un échec. Les mères peuvent se sentir coupables de n’avoir pas su protéger leur enfant. D’autres parents préfèrent attendre avant de tenter une nouvelle grossesse ou sont freinés, voire stoppés dans leur désir par des soucis de stérilité, ou parce que la femme avance en âge. Suite à une mort périnatale, faut-il respecter un délai avant une nouvelle grossesse ?
Christophe Fauré : « Pendant longtemps, on conseillait aux couples d’attendre, pour éviter de faire un enfant de remplacement. Mais l’expérience a montré que ce risque n’est pas si important et que le choix de se lancer dans une nouvelle grossesse est plutôt aidant. Les couples arrivent à créer de la place pour l’enfant à venir s’ils acceptent en même temps de cheminer dans leur deuil. Je conseillerais simplement de veiller à la synchronicité de ces deux grossesses consécutives. Si l’enfant à venir devait naître autour de la date du décès ou de la date prévue de naissance du précédent, les parents risquent de faire inconsciemment un amalgame entre les deux. »
La grossesse suivante est-elle pathologique ?
« J’ai demandé à être hospitalisée à 35 semaines de grossesse et déclenchée à 37 pour éviter que ça se reproduise.» Sandrine, enceinte après la perte de son troisième bébé.
Que le décès ait été expliqué ou pas, qu’il soit survenu au début, au milieu ou en fin de grossesse, l’attente de l’enfant suivant n’est pas vécue de la même manière. Les parents ont perdu à travers ce drame une certaine insouciance. « J’ai eu l’impression d’avoir vieilli de dix ans », dit Laurence qui a perdu son premier enfant à terme. Pour la grossesse d’après, le suivi médical est généralement plus soutenu et un accompagnement psychologique proposé. Chaque situation est unique mais toutes les femmes parlent d’un stress et d’une anxiété qu’elles n’ont pas vécus pour leur grossesse fatidique. « J’étais particulièrement inquiète jusqu’à l’échographie du cinquième mois», se rappelle Lucy. C’est à ce moment-là que l’on avait détecté la malformation de sa fille décédée. La grossesse suivante est-elle pathologique ?
Christophe Fauré : « Je ne qualifierais pas ces grossesses de ‘‘pathologiques’’ mais plutôt ‘‘à risque psychique’’. Elles requièrent un suivi sérieux qui prend en compte le trauma vécu par la mère et la nouvelle croyance qui s’installe chez elle : qu’une catastrophe peut arriver à tout moment. Il faut trouver les moyens de contrecarrer cette croyance, d’aider la femme à retrouver confiance en elle pour qu’elle croie de nouveau que les choses peuvent bien se passer. La mort d’un enfant est plus traumatisante que n’importe quelle mort parce qu’elle n’est pas dans l’ordre des choses. »
Comment créer du lien avec l’enfant à venir ?
« Au lieu de sauter de joie et de pleurer comme je l’ai fait la première fois, j’ai mis le test de côté en me disant : « Qu’est-ce qu’il va encore nous tomber dessus cette fois-ci ? » » Sophie, dont le premier enfant est décédé au sixième mois de grossesse
La douleur provoquée par le décès d’un enfant est tellement intense que la mère, et parfois le père, peut peiner à établir un lien avec le cadet. L’annonce d’une nouvelle grossesse est accueillie avec confusion. Claire est enceinte de trois mois après avoir perdu son fils à huit mois de grossesse : « Je ne parle pas trop de ma grossesse et m’en détache, sûrement par précaution. » Son mari en revanche parle souvent du nouveau bébé et « ne vit pas les choses de la même manière». Sur les cinq grossesses d’Hélène, seuls deux enfants sont nés vivants. Elle décrit ses grossesses comme extrêmement stressantes mais les a investies pleinement, même lorsqu’elle savait ses tout-petits condamnés par une maladie auto-immune. Pour cette mère, « chaque bébé a eu une vie courte mais complète ». Comment créer du lien avec l’enfant à venir ?
Christophe Fauré : « Chaque situation est singulière mais j’ai pu constater que les mères nouvellement enceintesinvestissent leur grossesse à partir de la date à laquelle elles ont perdu leur enfant, que ce soit à trois, cinq ou huit mois. Les mères se culpabilisent d’ailleurs beaucoup, sans pouvoir faire autrement. Il est important qu’elles conscientisent l’importance d’investir leur nouvelle grossesse et qu’elles distinguent l’enfant en devenir de celui qui est mort. Les rituels qui suivent l’accouchement – les obsèques, l’inscription à l’état civil… – favorisent grandement ce processus ».
Le cadet arrive, comment le considère-t-on ?
« Je suis à l’affût du moindre souci de santé chez mes enfants.» Evelyne, qui a perdu son troisième sur cinq enfants
Les parents sont soulagés après la naissance du nouvel enfant mais l’inquiétude persiste. « Je suis bien plus protectrice avec cet enfant qu’avec mon aîné de cinq ans », confie Lucy. « L’enfant d’après est précieux, explique Hélène, il nous recentre sur l’essentiel. Je ne couche plus mes enfants fâchés, depuis la perte de nos tout-petits. » Le plus souvent, l’enfant décédé est considéré comme membre de la fratrie. Pour autant, dire au quotidien que l’on a trois enfants alors qu’il y en a deux à la maison, ce n’est pas toujours évident. Hélène se dit mère de deux enfants bien qu’elle en ait mis cinq au monde. Sandrine inclut systématiquement sa fille Lara quand on lui pose la question. toute la difficulté consiste à reconnaître l’existence de l’enfant mort tout en veillant sur les vivants. Sophie témoigne : « Nous expliquerons notre histoire à notre fille sans tabou mais sans non plus faire un mythe de ce grand frère disparu.» Le cadet arrive, comment le considère-t-on ?
Christophe Fauré : « Il est important de trouver la juste place pour l’enfant décédé au sein de la fratrie. Parler de lui, se rappeler la date de son décès, c’est très positif. Mais donner à cet enfant une trop forte existence peut être néfaste pour les enfants présents ou à venir. L’enfant mort ne va jamais décevoir ses parents et ça peut être difficile à supporter pour les autres enfants. Nommer le nombre d’enfants portés et mis au monde par la femme n’est pas facile parce que c’est un rappel du décès de l’enfant, mais ne pas le dire nourrit une trahison envers l’enfant. Je trouve plus sain de revendiquer l’existence de cet enfant. »
Photo : Guillaume Bret

Christophe Fauré est spécialisé dans l’accompagnement des ruptures de vie. Il est auteur de nombreux livres dont Vivre le deuil au jour le jour (Albin Michel, 2012).
Elisabeth Martineau, rédactrice en chef de L’Enfant et la vie, est auteure de Surmonter la mort de l’enfant attendu (Chronique sociale, 2008).
La journée « Une fleur, une vie » honore chaque année la mémoire des tout-petits morts pendant la grossesse ou peu après leur naissance.