Nature et Découvertes et Oxybul ont ménagé un rayon entier pour leurs gammes de produits « Montessori ». Plusieurs éditeurs ont développé des collections de livres et de coffrets sous la même estampille. Des applis pour tablettes se répondent du même nom. Cet usage commercial suscite beaucoup d’interrogations parmi les éducateurs Montessori et les professionnels de l’éducation.
Des professionnels partagés
Le phénomène n’a échappé à personne. Jusqu’à présent, le nom de Montessori n’était familier que de ceux qui s’intéressaient de près à l’éducation, la pédagogie ou le développement de l’enfant. Depuis quelque temps, utilisé comme un label de qualité, il atteint désormais le grand public.
Certains, comme Valérie Blu, la présidente de l’Association Montessori de France (AMF), ont envie d’y voir un bon signe et se disent que si cela peut développer l’intérêt et la curiosité pour la pensée de la pédagogue, tant mieux. Pragmatique, l’AMF a pris contact avec ces deux enseignes pour en savoir un peu plus sur leur démarche : « Nous ne pouvons pas empêcher ces nouveaux acteurs de faire ce qu’ils font, alors autant essayer de les amener à évoluer vers plus de rigueur. » A savoir, pour commencer, revoir la terminologie utilisée : « L’AMF ne se reconnaît pas dans l’appelation ‘jouet Montessori’, ça n’a aucun sens, explique Valérie Blu. Nous aimerions que soit ajouté ‘inspiré de’, autrement, cela crée de la confusion dans l’esprit du grand public. »
A l’opposé de cette position, d’autres observateurs s’avouent mal à l’aise, voire indignés de l’usage incontrôlé qui est fait de ce nom de famille. Beaucoup tentent d’imaginer ce que la grande dame en aurait pensé, elle qui a laissé percer dans ses écrits sa réticence à ce que son propre nom soit utilisé pour qualifier son travail scientifique.
Force est de reconnaître que certains des objets commercialisés semblent de bonne facture : jolis et réalisés dans de beaux matériaux. Cela ne suffit pas à convaincre ! « Les fabriquants se sont toujours inspirés de Montessori, mais en rajoutant des fantaisies pour que ça séduise les adultes et se vende », constate Lydie Brunot, du Centre Nascita d’Angers, qui regrette la simplicité perdue : « les objets, dont les mesures ne sont pas respectées, ou auxquels on a ôté le détail essentiel, deviennent trop complexes, ne permettent plus un mouvement simple que l’enfant pourra répéter ». Des dérives encore plus évidentes sont à déplorer : « Un lavabo en bois avec un sticker Montessori ? J’ai cru rêver !, s’écrie une éducatrice. C’est tout l’inverse de son propos : elle préconisait d’adapter l’environnement réel aux enfants, pas de les faire jouer à la dînette ! » « Pourquoi acheter une fausse chaussure à lacets pour que l’enfant apprenne à lacer ses chaussures ? Laissez-le faire avec ses propres chaussures ! » Une professeure des écoles glisse au passage qu’elle a constaté que les tarifs pratiqués dans ces grandes enseignes ne sont pas forcément moins élevés que dans les boutiques spécialisées.
Montessori, ce n’est pas que du matériel !
Mais au-delà de ces remarques, les éducateurs s’interrogent surtout sur ce que ces objets laissent entrevoir du travail de la pédagogue. Si certains ouvrages de vulgarisation ont le mérite de constituer une introduction à sa pensée [voir encadré], les objets et les coffrets (hochets, jouets, mobiles, matériel pédagogique…) « entretiennent l’illusion qu’acquérir du matériel suffit à nous faire entrer dans la pédagogie Montessori », note Valérie Guénec. Or, remarque cette éducatrice Montessori et conseillère pédagogique installée en Norvège, « c’est souvent l’inverse qui se produit : l’adulte focalise son attention sur le matériel et est moins dans la présence à l’enfant. » Se raccrocher au matériel a quelque chose de rassurant pour l’adulte, suppose-t-elle, alors que la posture éducative respectueuse, bienveillante et adaptée prônée par M. Montessori est bien plus difficile à endosser.
Les commerçants expliquent-ils suffisamment dans quel esprit le matériel pédagogique a été imaginé ? Les modes d’emploi sont succints, voire inexistants : comment donc seront utilisés ces blocs de densité, ces boîtes de couleurs, ces lettres rugueuses ? « On vend un peu aux parents la promesse qu’en offrant ça à leurs enfants, ils seront plus ‘performants’ que les autres, » note une éducatrice. Et de craindre qu’au lieu de respecter le développement naturel de l’enfant, comme le préconisait la pédagogue italienne, ce matériel soit plutôt l’occasion de les « pousser ».
Réduire la démarche de Maria Montessori à du matériel pédagogique serait lui faire injure, elle qui propose non pas une méthode mais une véritable philosophie de vie. Mais « s’il y a un appétit, profitons-en ! », conclut une des interviewées. Reste encore à trouver la manière la plus fidèle de le faire.
Autant s’imprégner de l’esprit Montessori avant de s’entourer d’objets.
Notre série d’articles « Montessori, c’est quoi au juste ? » pourra vous y aider : ils ont été rédigés en partenariat avec l’Institut Supérieur Maria Montessori.
Jeannette Toulemonde, Le quotidien avec mon enfant, Editions L’Instant Présent, 2010.
Dans cet ouvrage, dont la première édition est parue en 1985, la fondatrice de L’enfant et la vie raconte avec beaucoup de fraîcheur et d’enthousiasme comment sa découverte de la pensée de Maria Montessori dès les années 60 l’amena à porter un regard nouveau sur ses enfants.
Si vous voulez en savoir plus sur notre relation avec la pédagogie Montessori, c’est par ici.