Choisir sa voie alors qu’on connaît à peine ses talents et les possibilités en termes de métiers, c’est le dilemme que vivent de nombreux jeunes aujourd’hui. Sous la pression d’une société qui dicte que pour réussir sa vie, il faut faire de grandes études, ils méprisent ou méconnaissent les formations techniques alors que celles-ci pourraient répondre à leur besoin de toucher au concret, de se réaliser et de se sentir valorisé. Quelques pistes pour changer de regard.

Laurie découvre en fin de seconde qu’elle ne poursuivra pas ses études dans les filières générales au contraire de 65% de ses camarades. Ses notes ne sont pas assez élevées. La conseillère de son lycée l’oriente vers un bac professionnel sans qu’elle ait d’attirance pour un métier en particulier. Alors que la jeune fille pensait avoir du temps pour choisir son futur métier, il faut qu’elle prenne rapidement une décision. Mais sur quelles bases et dans quel esprit? Au lieu de se sentir projetée de manière positive vers un avenir heureux, Laurie a l’impression d’être éliminée façon Nouvelle Star et que son métier sera “choisi” pour elle par défaut.

Le pédagogue Philippe Meirieu porte un regard critique sur ce système scolaire qui « filtre » les élèves au fur et à mesure. « On ne garde que ceux qui sont conformes à la norme « intellectuelle » en vigueur, dit-il, et on maintient une confusion entre intelligence et excellence. » Selon lui, il faudrait inverser les choses, revaloriser les métiers dits « manuels », en reconnaissant par exemple qu’un bon chirurgien est aussi un bon manuel, qu’un agriculteur doit user de son intellect pour favoriser des cultures qui soient bonnes pour notre santé et pour la planète. « Ce clivage n’est pas seulement un problème scolaire, explique le professeur, il est avant tout sociétal. On sacrifie notre artisanat aux grandes surfaces. On ne forme pas des travailleurs mais des gestionnaires. » Ce processus commence dès l’école primaire. Alors que les enfants finlandais font une demi-journée de mécanique et une demi-journée de cuisine chaque semaine, les élèves français travaillent sur des fiches et on les évalue essentiellement sur leur capacité à conceptualiser le monde. Ils ne sont pas souvent confrontés à l’objet « exigeant », comme le décrit Philippe Meirieu, à leur capacité à le modifier et à le maîtriser, alors que cela pourrait leur apporter de l’assurance, une meilleure connaissance d’eux-mêmes et des métiers actuels.

Aujourd’hui âgé de 18 ans, Clément se rappelle: « Tout petit déjà, j’aimais aider en cuisine. A 11 ans, quand j’ai vu des images de grands pâtissiers parisiens sur Internet, j’ai su que je voulais faire ce métier-là. Je me suis acheté des livres de recettes et j’ai fait plein de desserts pour ma famille pendant tout le collège. » Même s’il réussissait bien à l’école, il était clair pour Clément qu’il ne ferait pas d’études longues. Après la 3e, il a entamé une formation en alternance pour obtenir un Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) Pâtissier avec mention complémentaire Traiteur. Tout juste majeur, il travaille à plein temps et envisage de poursuivre ses études pour obtenir le Brevet Technique des Métiers (BTM).

Pour Geneviève Le Saux, consultante en orientation scolaire et professionnelle, l’exemple de Clément démontre que si l’école n’arrive pas à déceler les talents des enfants, les parents ont un rôle privilégié. « Il suffit d’observer son enfant, explique la spécialiste. Est-ce qu’il aime rendre service, construire, chanter, dessiner, organiser des activités? Ce sont des signes précurseurs, tout comme les activités extrascolaires qu’il choisit et qui laissent entrevoir très jeune ses goûts et ses talents. » Proposer à son jeune de faire des stages pendant les vacances constitue un bon moyen de lui faire connaître des métiers différents et de valider ses envies. Pour la spécialiste, les parents mettent trop souvent la pression sur leurs enfants et les poussent à faire des études qui ne leur ressemblent pas. Elle se souvient d’un jeune qui avait de l’or dans les mains et voulait devenir bijoutier. Pour satisfaire la demande de ses parents, il a passé un bac général avant de s’inscrire en CAP Bijoutier. Les parents sont guidés par la peur que leur enfant ne trouve pas de travail et croient bien faire en les poussant dans la voie générale. « C’est un faux raisonnement, affirme Geneviève Le Saux. L’emploi sera au rendez-vous si le jeune est motivé et bien dans ce qu’il fait. Tout jeune excelle dans le métier qu’il aura choisi. Aujourd’hui, constate-t-elle, les recruteurs attendent une formation technique solide et la formation par alternance est de plus en plus valorisée. »

Il serait donc essentiel que les parents lâchent le rêve qu’ils ont construit pour chacun de leurs enfants et reconnaissent les compétences de ces derniers, mais aussi leurs limites. Cela donnerait à l’adolescent une boussole intérieure, les moyens et le courage d’aller à l’encontre de l’institution désireuse de l’orienter vers des études supérieures « parce qu’il y arrive » ou vers un métier manuel « parce qu’il n’y arrive pas » et de choisir librement sa voie. Comme le rappelle Geneviève Le Saux, il ne faudrait pas faire mentir l’adage: « Leur avenir leur appartient. »

Les MFR : une voie originale et méconnue

Ces quatre jeunes filles sont élèves à la Maison familiale rurale (MFR) de Charentay (69) en CAP ou Bac Pro “Services aux personnes”. Le réseau des MFR, fondé en 1937 par des parents agriculteurs, compte 430 maisons en France, proposant des formations dans 19 secteurs professionnels. L’atout majeur des MFR : offrir dès la 4ème et jusqu’aux licences pro (Bac +3 dans certains établissements) une formation en alternance basée sur l’échange et le partage des savoirs. Jean-Claude Tatu, directeur à Charentay parle “d’inclusion scolaire”. Ceux qui ne se trouvent pas dans le système classique, qui sont en difficulté familiale ou sont placés, bénéficient d’une école à taille humaine et d’un accompagnement personnalisé.