Regardez bien l’œil de ce mignon petit ourson… non, vous ne rêvez pas : c’est une caméra ! On avait déjà poussé un coup de gueule contre l’échographe domestique. L’association de professionnels de l’enfance Joue, pense, parle, nous alerte aujourd’hui sur le « Babeyes« , qui nous vend du rêve ! « Et si les bébés filmaient eux-mêmes les premières années de leur vie ? », hein ? Et si ? L’intérêt, d’après les concepteurs, c’est l’émotion. Eh oui, car on prend des milliers de photo du bébé, mais on n’a pas de trace du visage de Mamie quand elle l’a vu pour la première fois, on oublie de filmer Papa qui gagatise devant son enfant, ou le grand frère qui fait des grimaces.
Lisez plutôt les arguments commerciaux :
« Babeyes enregistre, analyse, classe et conserve pour toujours les premiers moments de vie d’un bébé (du point de vue du bébé). Comment ma mère me regardait-elle ? Quelle fut l’émotion de mon père en me voyant pour la première fois ? Avec quelle tendresse mes grands-parents m’ont-ils accueilli ? Tous ces moments, remplis d’amour, pourront être revisionnés plus tard par l’enfant devenu grand, comme s’il se remémorait la scène. »
Passons sur le développement de la vision de l’être humain, qui rend les termes « du point de vue du bébé » totalement inadéquats, passons aussi sur son développement cognitif, qui rend absurde l’idée de « se remémorer la scène ». Questionnons-nous seulement sur l’impact psychologique que constitue une telle masse d’images animées, risquant de couper court à toute construction symbolique. Interrogeons-nous sur la différence entre élaboration des souvenirs et remplissage d’une mémoire informative, sans tri, sans filtre – un « cloud » qui n’a rien d’un léger nuage. Questionnons-nous aussi sur la sincérité des proches, sous l’œil de la caméra : seront-ils authentiques ? Et que fera la machine si, un jour, Maman était en larmes, épuisée, en regardant son nouveau-né ? Si la sœur ainée, âgée de 2 ans et demi, cherche à mordre ce petit frère encombrant ? Détourne-t-elle le regard ?
N’envahissons pas nos bébés de ces pseudo souvenirs, inutiles et nocifs.